Al-Fayd al-Quds fî Tarjamah al-‘Allâmah al-Majlissî1 est un ouvrage écrit par le célèbre savant Chiite al-Nûrî al-Tabarsî consacré à la biographie du non moins célèbre savant Imamite al-Allâmah al-Majlissî. On ne présente plus al-Nûrî al-Tabarsî, savant Imamite de référence, qui a compilé notamment un des huit ouvrages de référence de traditions Imamites et qui fut l’auteur du fameux ouvrage Fasl al-Khitâb fî Ithbât Tahrîf Kitâb Rab al-Arbâb2. Dans l’ouvrage al-Fayd al-Quds fî Tarjamah al-‘Allâmah al-Majlissî« , al-Nûrî al-Tabarsî rapporte une anecdote concernant un savant Imamite reconnu3, du nom de al-Mawla Haydar Ali al-Chirwânî. C’est cette anecdote que nous vous proposons de découvrir dans cet article.
Mais avant d’en prendre connaissance, arrêtons nous un instant sur ce personnage : Il est sans nul doute, un savant renommé et reconnu chez les Imamites, notamment pour son ouvrage Manâqib Ahl al-Bayt (Mérite des gens de la Demeure [Prophétique]), ce qui lui a valu d’ailleurs de voir son portrait au panthéon des savants Imamites sur le site al-shia.org qui recense les plus grands savants, toute époque confondue, du Chiisme Imamite.
Son père Mîrzâ4 Muhammad ibn al-Hassan al-Chirwânî (décédé en 1098 ou 1099 de l’hégire), surnommé al-Mudaqqiq (le méticuleux), était l’élève et le gendre de Muhammad Taqî al-Majlissî (décédé en 1070 de l’hégire), savant Imamite et père du célèbre Muhammad Bâqir al-Majlissî, surnommé al-Allâmah, l’auteur de la fameuse encyclopédie Bihâr al-Anwâr5.
L’homme dont il est question ici est non seulement un savant reconnu chez les Imamites, mais il est également intimement lié à la famille des Majlissî. De par le mariage de son père avec la fille de son professeur, il était donc le petit-fils de Muhammad Taqî al-Majlissî et le neveu de al-Allâmah [Muhammad Bâqir fils de Muhammad Taqî] al-Majlissî. Mais plus que cela, il était aussi le gendre de al-Allâmah al-Majlissî, car il a épousé sa cousine et fille de son oncle al-Allâmah al-Majlissî. Il était donc à la fois le petit-fils de Majlissî père, mais également neveu et gendre de Majlissi fils (le plus connu des Majlissi, l’auteur du Bihâr al Anwâr).
Dans l’introduction de son ouvrage Manâqib Ahl al-Bayt, le commentateur et vérificateur Imamite (Muhammad al-Hassun) écrit :
هو المولى حيدر علي ابن الشيخ المولى ميرزا محمد بن الحسن الشرواني، صهر المجلسي الثاني على ابنته التي كانت له من أخت أبي طالب خان النهاوندي. والشرواني نسبة إلى شروان
C’est le Mawlâ Haydar Alî ibn Cheykh al-Mawlâ Mîrzâ Muhammad ibn al-Hassan al-Chirwânî, gendre de al-Majlissî, le deuxième (i.e Muhammad Bâqir, le fils), de par sa fille qu’il a eu avec la soeur de Abî Tâlib Khân al-Nahâwandî. Et al-Chîrwânî est tiré du nom de la région Chirwân6.
On devine donc le personnage qu’il était et le statut qu’il avait. Figurez-vous que ce Cheikh Haydar Ali al-Chîrwânî avait un passe-temps des plus originaux, nous vous proposons sans plus tarder de le découvrir dans cet extrait :
مولانا حيدر علي ابن المولى ميرزا الشيرواني كان فاضلا معظما وعالما مفخما كما علمناه من تعليقاته على المسالك وغيرها فانها وإن كانت قليلة إلا أنها تدل على فضل محررها، وبالجملة إنه من أهل الفضل مع أنه كان من أهل الزهد والتقوى أيضا إلا أنه ظهر منه أقوال مختصة به ينكر ذلك عليه وأن كان لبعضها قائل به من غيره، سمعت استادنا واستنادنا الفاضل الأعز والعالم الأكبر مولانا علي اصغر – ره – يحكي أنه كان يلعن جميع العلماء إلا السيد المرتضى ووالده العلامة. وقد تحقق منه أنه كان يضيف أهل السنة إلى بيته ويصبر عليهم إلى أن تحصل له الفرصة ويتمكن مما يريد فيأخذ المدية بيده المرتعشة لكونه ناهزا في التسعين، فيضعها في حلق أحدهم فيقتله بنهاية الزجر. والحيدرية المنسوبة إليه كانوا يصومون فيريدون أن يفطروا بالحلال فيمشون إلى دكاكين أهل السنة أو بيوتهم فيسرقون شيئا ويفطرون به، ومن آرائهم عدم رجحان صوم يوم الاثنين أو حرمته، وإن وافى يوم الغدير، ومنها حكمهم بخروج غير الامامية من دين الاسلام، والحكم بنجاستهم، وكذا من شك في ذلك إلى غيرها من الآراء، ورأيت منه رسالة حكم فيها بوجوب الاجتهاد على الأعيان كما هو رأى علماء حلب، وأشبع الكلام في ذلك لكنه مزيف.
Notre Maître (Mawlâ) Haydar Ali ibn al-Mawla Mirza [Muhammed] al-Chîrwânî : Il était vertueux, vénéré et un grand savant, comme on a pu le voir d’après ses commentaires sur [l’ouvrage] al-Massâlik et d’autres. Et quand bien même ils (ses commentaires) étaient peu nombreux, ils montrent la valeur de son auteur.
En résumé, il faisait parti des gens nobles (vertueux), et comptait également parmi les gens de l’ascétisme et la piété. Il a certes pu professer des paroles [propres à lui] qu’on peut lui reprocher, mais d’autres ont pu tenir également ces mêmes propos.
J’ai entendu notre professeur et référence le grand savant, notre Maître (Mawla) Ali Asghar qui racontait qu’il (al-Chîrwânî) maudissait tous les savants à l’exception de Sayyid al-Murtadâ et son père al-‘Allamah.
Et il a pu être attesté à son propos, qu’il invitait les gens de la Sunnah (Sunnites) chez lui, et qu’il patientait jusqu’à ce qu’il trouve une occasion et puisse [réaliser] ce qu’il voulait. Il prenait alors un couteau de sa main tremblante, parce qu’il approchait les quatre vingt-dix ans, et l’enfonçait dans la gorge de l’un d’eux et il le tuait après l’avoir fait souffrir [jusqu’à la mort].
Et le [nom du groupe des] Haydariyah fait référence à lui. [Quand] ils jeûnaient et voulaient rompre le jeûne de façon licite (Halal), ils se rendaient dans les boutiques des Gens de Sunnah (Sunnites) ou dans leurs maisons et leur volaient quelque chose pour rompre le jeûne.
Et parmi leurs opinions [à ce groupe] : le caractère non souhaitable de jeûner le lundi7 même s’il coïncide avec le jour de Ghadir [Khumm].
Et leur opinion juridique (Hukm) selon laquelle les non-Imamites sortent du cercle de l’Islam et qu’il sont impuretés (Najassah), ainsi que pour ceux qui doutent de cela et d’autres avis [parmi les avis proférés par ce groupe].
Et j’ai vu de lui un pamphlet (Rissâlah) dans lequel il exprime un avis juridique (Hukm) concernant l’obligation de pratiquer l’effort scientifique religieux (al-Ijtihâd) pour les élites (al-A’yân), à l’image des savants de Alep [qui sont du même avis], et il a débordé de propos sur cela [cette question] mais cela [son avis] n’est pas correct8.
Voilà donc la particularité, l’adoration à laquelle s’adonnait ce savant Imamite dont ses pairs, y-compris parmi les contemporains, disent de lui qu’il fut un homme plein de vertu et de savoir. L’on peut également remarquer non sans étonnement, une certaine nonchalance dans l’évocation du parcours de ce savant de la part de Cheikh Nûri al-Tabarsi car en effet, il raconte la manière avec laquelle Haydar Ali al-Chîrwânî assassinait des Sunnites ou la manière avec laquelle ses partisans, qui pour rompre leur jeûne de façon « licite » volaient des Sunnites, et poursuit le plus tranquillement du monde la biographie en parlant d’un avis juridique concernant le jeûne du lundi de la part des adeptes de Haydar Ali al-Chîrwânî. Aucun blâme, aucun désaveu ni de la part de al-Tabarsî (sauf concernant l’avis juridique lié à l’Ijtihad de l’élite qui ne serait pas correct selon lui) ni même d’autres savants puisque l’on peut lire les éloges suivantes de la part de :
– Sayed al-Khawansârî qui écrit sur lui, dans son livre Rawdât al-Jannât :
المولى الفاضل ، المشتهر بالمولى حيدر علي
« Le Maître (al-Mawlâ), le vertueux, connu (célèbre) sous le nom de al-Mawlâ Haydar Ali9.
– Cheikh Abd al-Nabî al-Qazwânî qui écrit à son sujet dans son livre Tatmîm Amal al-Âmal :
كان فاضلاً معظماً وعالماً مفخماً … ، وهو من أهل الفضل مع أنّه كان من أهل الزهد والتقوى أيضاً .
« Il était vertueux, vénérable, grand savant respecté… Il faisait parti des gens vertueux, des ascètes et des pieux9. »
– Et enfin de Sayed Muhçin al-Âmîn (Un savant Chiite libanais mort en 1952, pourtant présenté comme un réformiste adepte du rapprochement avec les Sunnites) qui dit de lui, dans son encyclopédie des grandes personnalités Imamites A’yân al-Chî’ah :
كان عالماً فاضلاً
« Il était un savant émérite9. »
- Que l’on pourrait traduire par le Flot de sainteté concernant la biographie du savantissime al-Majlissî. On peut trouver cet ouvrage dans la dernière édition du livre, véritable encyclopédie des traditions Imamites, Bihâr al-Anwâr dans lequel il a été intégré (il figure dans le volume 102)
- Que l’on peut traduire par « Le discours décisif prouvant l’établissement de la falsification du Livre du Seigneur des seigneurs » et qui est consacré à prouver que les Compagnons du Prophète ont falsifié le Coran. Un article plus complet sera rédigé au sujet de ce livre.
- Le site al-shia.org qui consacre une rubrique à la biographie des plus grands savants Imamites le répertorie comme un de leurs grands savants, voir le lien suivant : http://arabic.al-shia.org.
- Ce terme, utilisé comme un titre, renseigne sur la descendance noble (royale ou prophétique) de l’individu.
- Voir l’ouvrage encyclopédique (qui recense tous les ouvrages écrits par des savants Imamites) al-Dhari’ah ilâ Taçânîf al-Chi’ah de Agha Bozorg al-Tehranî. Voir notamment ses propos relatifs à l’ouvrage al-Safiyyah, vol 1 page 35, cliquez ici pour consulter la page (ouvrage numéro 170) et à l’ouvrage al-Ihbât wa al-Takfîr, vol 1 page 280, cliquez ici pour consulter la page (ouvrage numéro 1469)
- Manâqib Ahl al-Bayt de Haydar Ali al-Chirwânî, introduction de Muhammad al-Hassun, page 13.
- Ils ne reconnaissaient pas le caractère conseillé de jeûner le Lundi.
- Al-Fayd al-Quds fî Tarjamah al-‘Allâmah al-Majlissî d’al-Nûrî al-Tabarsî, pages 251 et 252. Comme évoqué au début de l’article, cet ouvrage a été intégrée dans la dernière édition de l’ouvrage Bihâr al-Anwâr de Majlissî, dans le volume 102. L’ouvrage est disponible en ligne sur un site chiite : cliquez ici pour consulter le passage qui nous concerne (page 137).
- Biographie en ligne sur le site http://arabic.al-shia.org
- Sourate Le repentir (At-Tawbah), verset 56